Thomas Pynchon est considéré comme le chef de file de cette condition postmoderne si difficile à saisir. Sans vouloir entrer dans un bien inutile débat critique, il est pour l'instant suffisant de constater l'unité qui lie les œuvres de Thomas Pynchon, Kurt Vonnegut et William S. Burroughs.

Chacune participe de la même volonté de ne pas différencier la réalité de l'illusion, le vrai du faux, le songe de la conscience. L'héroïne de The Crying of Lot 49, une ménagère californienne de vingt-huit ans, Oedipa Mass, se voit désignée comme exécuteur testamentaire de son ancien amant, le milliardaire Pierce Inverarity. Oedipa qui a tendance à voir partout des sens cachés, a dû être tenté d'avoir à évaluer "the real estate" de Pierce Inverarity, au sens littéral : que reste-t-il de nous sur la terre, une fois que nous avons disparu. Aussi n'est-elle nullement intéressée par la valeur en argent que représente l'héritage, mais par le réseau de signes qui s'en dégage et auxquels elle cherche à donner un sens.

Elle s'enfonce bientôt dans un univers de plus en plus mystérieux où une seule réponse évoque trois autres questions et où le signes et symboles abondent. La situation devient telle qu'Oedipa commence à douter de tout et qu'elle se demande si tout ce qu'elle vit fait partie d'une grande plaisanterie posthume de Pierce, ou bien s'il s'agit d'une immense conspiration d'allure mondiale et historique d'un ordre alternatif, mais plus puissant que l'ordre perceptible, ou encore si tout n'est que le produit de sa propre imagination. Du moins ce sont les possibilités que nous propose le texte, sans pour autant donner de réponse.

Thomas Pynchon ne renvoie pas le lecteur à une quelconque réalité de référence. Au contraire, en dévoilant un monde fait de signes occultes et de conspirations souterraines, il rend impossible toute reconstruction de la réalité. Le signe reste signe (on retrouve ici les "réalités variables" telles qu' a pu les définir Jean Ricardou.)

La représentation du réel peut s'avérer illusoire, une représentation dans la représentation, ou, au contraire, une représentation supposée illusoire peut s'avérer correspondre à la réalité. Par exemple le monde du roman de Thomas Pynchon Gravity's rainbow participe de cette stratégie du trompe-l'oeil de la réalité variable.

La dernière page du roman le définit comme un film se déroulant à l'intérieur de la diégèse romanesque :

The screen is a dim page spread before us, white and silent. The film has broken, or a projector bulb has burned out. It was difficult even for us, old fans who's always been at the movies (haven't we?) to tell which before the darkness swept in.


On retrouve le même effet que dans le roman de William Golding Pincher Martin. La fin du roman exige du lecteur désireux de comprendre dans quel dédale il s'est perdu de reprendre le roman dans une perspective nouvelle. Il lui faut admettre que là où il pensait réel il lui faut dorénavant comprendre illusion.

L'écriture de la réalité perturbée n'est pas due à un seul auteur. Au contraire il y a eu enrichissement du thème par différents romanciers qui, alors que Philip K. Dick explorait sans relâche les méandres de la réalité, se sont mis également à écrire sur un thème similaire. Le travail de thèse ne peut faire l'économie d'une recherche sur la période historique d'écriture de ces romans : peut-on trouver un lien entre cette époque et le thème de la réalité perturbée ?

Encore quelques lectures et on plongera dans le trouble, le mystère, le doute et l'hallucination...