Prix Hugo en 1961 pour The Man in the High Castle, Philip K. Dick est de ces auteurs reconnus par ses pairs, au lectorat fidèle, qui a profondément marqué ses contemporains tant par l'originalité de ses créations que par la profondeur de ses écrits. Qu'est-ce que l'homme ? Qu'est-ce qu'être ? Qu'est-ce que le réel ? Voici les questions aux implications angoissantes qui résonnent inlassablement au fil de son œuvre. Aucun autre auteur n'a autant remis en cause le réel Aucun n'a tenté une telle approche, aussi originale et personnelle de la littérature comme expression d'une pensée en marche.


Il y a un avant et un après Philip K. Dick. En plus d'être un auteur unanimement reconnu pour son importance, il a été un de ces artistes fédérateurs, autour desquels se retrouvent, parfois malgré eux, de nombreux autres artistes. Aujourd'hui, le fait que plusieurs de ses textes aient été adaptés au cinéma, au théâtre, et même à l'opéra montre qu'au-delà de l'influence qu'il a exercé il y a une réappropriation de son œuvre par d'autres auteurs.

Cette persistance des thématiques qu'il a développé, cette amplification justifient déjà que l'on puisse étudier l'un des éléments fondamentaux de l'originalité de Philip K. Dick, le problème de la représentation d'un réel labile.

dick


Un exemple est suffisamment éloquent. Dans The Man in the High Castle, Philip K. Dick écrit une uchronie, une histoire qui aurait pu arriver si les Nazis avaient remporté la Seconde Guerre Mondiale. Le récit s'attache à suivre les différents protagonistes tant dans leur vie quotidienne que dans leurs réactions à la lecture d'un ouvrage interdit, The Grasshoper Lies Heavy, décrivant un monde où les Alliés ont remporté la victoire finale. Monsieur Tagomi, négociant asiatique et par conséquent vainqueur vivant dans des Etats-Unis vaincus, se trouve dans un parc.

Must obtain respite. Ahead, a dingy lunch counter. Only whites within, all supping. Mr Tagomi pushed open the wooden swinging doors. Smell of coffee. Grotesque jukebox in corner blaring out; he winced and made his way to the counter. All stools taken by whites. Mr Tagomi exclaimed. Several whites looked up. But none departed their places. None yielded their stools to him. They merely resumed supping.

Le temps d'une vision, Monsieur Tagomi va connaître l'expérience traumatisante d'un autre monde. Celui-ci n'est pas une dimension parallèle ni une illusion (thèmes chers à la science-fiction) mais une autre réalité, laissant le lecteur aussi dubitatif que le protagoniste sur la nature des événements à venir. Philip K. Dick ne dit pas explicitement à son lecteur qu'une autre réalité vient de se substituer à celle qu'il croyait fiable, au contraire, par un habile emploi de la focalisation interne il le rend aussi vulnérable que son protagoniste. Science-fiction ? Comme Philip K. Dick résiste à toute tentative de réduction de son œuvre à un quelconque label il faudra dépasser avec lui les limites du genre. Dick a certes souffert des limites que lui imposait l'étiquette "auteur de S.F.", il a longtemps cru pouvoir arriver à écrire des romans mainstream, c'est-à-dire de la littérature générale. Devant l'impossibilité de se voir publié — franchement quel éditeur aurait pu prendre le risque de publier un inconnu, qui plus est auteur de S.F.? — ses tentatives suivantes furent d'écrire des romans qui ressemblaient à de la S.F. mais qui remplissaient également les critères d'excellence de la littérature d'art, comme disait Manchette. Son approche personnelle du thème de la réalité perturbée, notamment avec ses trois derniers romans qui composent sa "Trilogie Divine", lui a sans aucun doute permis d'atteindre son but.

Se pose alors une autre question : Philip K. Dick a-t-il participé malgré lui à la création collective d'un mythe moderne ? Un mythe de l'incertitude où se trouveraient et dont se nourriraient les grandes frayeurs de notre société dite évoluée ? C'est à cette question qu'il faudra répondre.