L’échelle de Jacob


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Ce film est, à ma connaissance, le seul exploitant pleinement les problèmes de la représentation cinématographique de l'impossible : une réalité fuyante.

Les hallucinations de Jacob Singer s'entrecroisent, se mêlent, se répondent dans la même composition hallucinée de l'horreur. La folie possible du personnage est clairement, explicitement, montrée, mais le thème à la fois souterrain et permanent du double, l'exploitation remarquable de la photographie, l'emploi -- d'une sobriété rare -- de truquages produisent un effet permanent de décalage entre ce que l'on voit, ce que l'on croit comprendre et ce qui est.

Qui est Jacob Singer ? Postier souffrant du dos, vivant chichement avec une femme brune ou un docteur en philosophie vivant paisiblement avec une femme blonde ? Pourquoi cherche-t-on à le tuer ? Où le mènent toutes les hallucinations qui l'assaillent ? Pourquoi enfin l'ensemble de ses anciens compagnons du Viet-Nam semble souffrir des mêmes troubles que lui ? Nulle réponse n'est donnée avant le dernier plan, avant l'accomplissement complet du parcours, de la rédemption de Jacob Singer.

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La fuite perpétuelle de Jacob impressionne parce qu'elle est avant tout profondément humaine. Sa volonté farouche de vivre, de ne pas céder à la terreur qui l'entoure, de rationaliser son expérience est celle d'un individu qui prend systématiquement le parti de la vie face à celui de la souffrance et de l'horreur. A ce titre, le film peut être vu comme une métaphore subtile du Viet-Nam, de l'abomination découverte par une génération d'américains. Mais il est aussi une belle parabole sur la souffrance et la culpabilité, ou sur l'amour, ce qui, par bien des aspects, peut revenir au même. En dire plus serait ruiner la bonne intelligence de la découverte du film, alors silence...
Quelques points sont cependant notables.

Le jeu permanent sur les reflets. Les miroirs se multiplient, des hélicoptères passent au-dessus d'un plan d'eau.
Le montage qui accélère régulièrement le rythme de l'action. Ceci manifestement afin de tromper le spectateur en réduisant son temps d'adaptation, en limitant son temps d'accès à l'information. Ainsi a-t-on facilement l'impression d'apercevoir des choses capitales, mais de façon subliminale. A contrario la scène de l'hôpital va insister sur tout ce qu'elle peut avoir de dérangeant et de malsain. Mais à ce stade du film, le spectateur a déjà été conditionné et ne cherche plus à appréhender les événements narrer mais de les ressentir.
Qui pourra me dire quels sont les livres que lit Jacob Singer? L'Enfer de Milton, mais les autres ?...

Un dernier point, seulement, presque en passant: le personnage de Louis, à la fois mentor et ange gardien, représente aussi bien le chiropracteur, apte à soigner le corps, que le guide qui peut sauver une âme. Il semble être le seul à posséder la vérité et par conséquent à pouvoir aider Jacob dans ses épreuves. Il ne cesse de me faire penser à l'ange du film de Capra, La Vie est belle... Comme si le film de Lynne était le pendant, le revers trouble, de la belle réalité mise en scène par Capra...