Blade Runner


Qu'est-ce qui n'a pas été écrit sur ce film? Son caractère fondateur est aujourd'hui de plus en plus évident. Pourtant il est moins celui d'un metteur en scène renouvelant sa pratique que celui d'un travail visuel qui exprime, brutalement, des images que tous ont dans la tête. Authentique tour de force technique, il a bouleversé la représentation visuelle d'une histoire de science-fiction.

Cette ambition fait que Blade Runner est devenu un véritable classique. La sortie d'un director's cut l'a éclairé pourtant d'un jour nouveau. Libéré des contraintes des producteurs de l'époque, le film prend un tour nouveau. A vrai dire les changements formels étaient peu nombreux (suppression de la voix off, modification du montage final, etc.) et contribuaient surtout aléger la structure narrative de l'ensemble. En un mot, à faire confiance au spectateur.

Cette nouvelle édition a permis de porter le regard de tous sur l'aspect le plus personnel du travail de Ridley Scott. Avec cependant une réserve importante : le director's cur n'en est pas réellement un. Il respecte les souhaits de R. Scott mais n'a pas été monté par lui. Il en sera autrement avec la prochaine version du montage, qui, cette fois, sera pleinement supervisée par le réalisateur.

A cette occasion les commentaires se sont portés sur un aspect du film jusqu'alors plus ou moins passé sous silence : son ambiguïté narrative. Deckard est-il oui ou non un Répliquant? La question n'est jamais posée explicitement au cours du film. Cependant Ridley Scott a parsemé le film de nombreuses scènes d'indices qui soulèvent la question.

Les "yeux rouges" permettent l'identification -- par le spectateur -- des Répliquants. Cependant, à un moment, Deckard aussi a les yeux rouges.

Les répliques à double sens foisonnent. Que ce soit lors de l'entretien entre Deckard et son supérieur ou à la fin du film, on peut supposer que les divers interlocuteurs de Deckard savent qu'il est, lui aussi, un Répliquant. Ainsi l'une des dernières répliques du film développe encore, sans l'expliciter, le problème de l'identité du héros. Gaff, seul avec Deckard sur le toit de l'immeuble, lui dit "You've done a man's job, sir" est d'une ambiguïté remarquable: le félicite-t-il d'être allé courageusement au bout de sa difficile enquête ou bien de s'être acquitté — humainement — de la tâche qui lui était confiée ?

Le fameux rêve de la licorne fit couler beaucoup d'encre à l'époque pour quelques secondes d'images. Filmée par Ridley Scott sans que la scène ait été prévue dans le scénario original, la scène se situe quand Deckard examine les photos qu'il a prise au répliquant Léon. L'espace d'un instant, nous pénétrons dans ses pensées pour voir cette licorne. Est-ce seulement l'évocation d'un rêve d'idéal, humain, si humain, en opposition au monde en souffrance montré durant tout le film? C'est possible. Mais l'origami que Deckard trouve devant son appartement, preuve que Gaff a décidé d'épargner Rachel est aussi une licorne. Le lien entre les deux s'impose alors. La coïncidence est peu probable, fort peu pertinente. Gaff devait connaître la véritable nature de Deckard, ainsi que ses souvenirs pre-programmés (tout comme Deckard connaît ceux de Rachel d'ailleurs...) et lui a laissé la seule preuve possible : une licorne.

Le film serait alors, tel que le présente le director's cut moins un hommage au film noir qu'une quête de sa propre identité par le héros. Il est intéressant de noter que le héros découvre aussi bien ce qu'il est que l'amour qu'il peut porter à une machine. Blade Runner s'articule alors d'une double transgression. D'abord le héros découvre qu'il est ce qu'il est programmé pour détruire, un Répliquant. Puis il tombe amoureux de ce qui ne peut être aimé, un androïde, et parvient à s'en faire aimer en retour.



Sa quête d'humanité trouve alors son point d'orgue lorsque l'impensable se produit : la machine à tuer épargne sa victime au nom de son amour de la vie, de toute vie. A partir de ce moment, de cette prise de conscience, pour Deckard tout devient possible : peu importe ce qu'il est, il est dorénavant un homme libre.

Une telle thématique est assez éloignée de celle du roman original. Elle reste néanmoins étonnement fidèle à la thématique générale de l'œuvre de Philip K. Dick. L'humanité n'y est pas définie comme un don mais plutt comme le résultat d'un combat de chaque instant.

Ce film ne traite pas directement des troubles du réel. Ou plutôt il le fait par la bande. En effet la question n'est plus d'ordre métaphysique mais ontologique. Le réel où je vis n'est qu'un reflet de ce que je suis. Le rêve de la licorne devient emblématique de cette fuite qui est celle de Deckard: fuir le réel revient à se chercher lui-même.

Quand Deckard cesse de n'être qu'une fonction, un blade runner, il devient enfin un homme.




Pour aller plus loin, Blade Runner.