Lost Highway


Ce film peut se résumer en une phrase : c'est l'histoire d'un schizophrène homicide. Le problème est qu'on la suit entièrement du point de vue paranoïaque du protagoniste, Fred Madison...

Ouf ! Toute la complexité narrative vient uniquement de ce choix narratif (la réflexion peut parfois n'être qu'un art de l'évidence !).

En effet, le film change à un moment donné de point de vue : le héros permute littéralement son identité avec un autre, mieux : il devient cet autre. Au spectateur de le suivre dans ce qui en apparence constitue une nouvelle histoire. Mais les mésaventures de Fred Madison, musicien jaloux condamné pour l'assassinat de sa femme, nous le verrons, peuvent rejoindre celles de Pete Dayton, le jeune mécanicien victime d'une femme fatale.

Le film est clairement divisé en ces deux parties symétriques. Les informations que le spectateur obtient sur le déroulement de l'histoire se complètent d'une histoire à l'autre, formant finalement un tissu lâche qui composerait une histoire véridique, originale, fondatrice... Mais celle-ci reste obstinément hors de la portée du spectateur, condamné à suivre la linéarité narrative du film -- je ne considère pas que ce film a été conçu pour être vu la télécommande à la main! -- tout en essayant de recomposer un récit frustrant à force de complexité.

Ce n'est qu'après la vision du film dans sa globalité que l'on peut recouper nombres d'éléments, des indices les plus fragrants aux détails en apparence innocents.


lost

• Les deux hommes croisent les mêmes personnes, à l'identité double : Renée Madison/Alice Wakefield ; Mr. Eddy / Dick Laurent...
• Les femmes sont à la fois objet de désir et de souffrance. Mais si Renée est clairement maternelle, Alice est la femme prédatrice et destructrice. La sexualité qu'elles incarnent est trouble, certains hommes les suivent sur ce terrains (comme Mr. Eddy), d'autres sont leurs victimes...
• Les hommes sont fascinés par les femmes qu'ils entraînent dans des rapports de domination (les cassettes pornos de Mr. Eddy, le film de Renée...)
• l'étonnant Homme Mystère est le lien entre les deux personnages. Il peut être une représentation des pulsions homicides de Fred... A la fois la force qui le pousse à agir, et l'excuse après avoir agit. Dans tous les cas il est une pulsion infantile mal maîtrisée.
• Enfin seuls les personnages, presque comiques, des policiers assurent le lien entre les deux narrations.

La fonction du "héros" est remplie par deux personnages différents ( peut-être amoureux d'une même femme). Seulement leurs deux parcours semblent défier aussi bien la logique de l'action que les codes narratifs les plus élémentaires. En effet le premier va prendre la place du second (ce qui lui permet d'être libéré de prison !) ; pourtant, durant le second épisode, de nombreux rappels surgissent, forçant le spectateur à constamment réévaluer son appréciation de l'histoire qui lui est donné à voir : Fred jouant du saxo à la radio, la photo de Renée, sans oublier le mal de tête persistant des deux facettes du héros. De plus le scénario original précise clairement qu'à de nombreuses reprises Pete Dayton n'est pas vu par les autres personnages. Ces disparitions se faisant à chaque fois lors de l'emploi de vues subjectives. La conclusion est logique, quasi nécessaire : Pete Dayton n'existe pas. Le film tel qu'il a été montré depuis le début n'est pas ce qu'il prétend être. Rien de ce que nous avons vu n'est réel.

La meilleure explication à ce tour de force est la folie. Nous n'avons pas assisté au déroulement de l'action mais à sa recomposition. Comme si le souvenir de son acte, dans un acte de rejet caractéristique, certains diraient de dénégation, le tueur se racontait sans cesse la même banale histoire, ce pathétique fait divers en occultant ses éléments dérangeants. Quitte à oublier que son histoire doit être plausible, quitte à s'accommoder de traits quasi fantastiques, quitte à délirer, l'histoire du meurtre de Renée et de son amant, transfigurée par le récit impossible que tente Fred est l'occasion d'un parcours halluciné dans la psyché malade d'un être détruit.

L'histoire, parfaitement circulaire, commençant et finissant par la même réplique, prononcée et entendue par un même personnage semble alors incarner à la perfection ce thème de l'errance si cher à Lynch, celui de la lost highway.

Pour aller plus loin :

Je crois qu'il faut revoir ce film ! Mais surtout lisez le scénario original de David Lynch et Barry Gifford, publié dans la collection "Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma".