L'Antre de la folie


Le film de John Carpenter, L'Antre de la folie , est à ce titre d'une roublardise frisant l'insolence. Le héros se trouve effectivement perdu dans diverses réalités. Il va rencontrer le monstre, lutter contre lui de toutes ses forces, perdre sans pouvoir y faire son amour, ses convictions, ses espoirs... Pourtant la partie est perdue d'avance car le monstre est l'auteur, au sens propre, de sa destinée.

Détective pour une compagnie d'assurance, il doit retrouver un écrivain de fantastique ayant disparu avant la publication de son nouveau roman. Le thème de la réalité perturbée se trouve ainsi subtilement introduit, non pas comme une problématique propre au cinéma, mais bel et bien comme un élément foncièrement littéraire ! Car le héros va glisser progressivement dans les pages mêmes des livres... Des livres d'horreur, bien sûr.

Le cinéma nous renvoie ainsi, à travers des références à H. P. Lovecraft ou Stephen King, au domaine du littéraire. La meilleure preuve est de constater combien les couvertures de roman de Sutter Cane sont hideuses !

Ce jeu avec le littéraire permet de mettre en place un certain nombre de structures narratives propres à l'art de Carpenter.

On retrouve ainsi ce jeu avec l'attendu et la surprise qui est permanent chez le cinéaste : Carpenter est un cinéaste de l'attente... Des agresseurs anonymes d'Assaut, aux monstres qui parsèment sont oeuvres, le spectateur ne cesse d'attendre le moment où l'attaque, l'agression, la libération va avoir lieu.

Cependant il ne cesse d'enrichir cette structure. Que ce soit par une construction spatiale, par l'éclairage ou simplement par un plan fixe (souvenez-vous de l'exploration à répétition des sous-sols de l'église du Prince des Ténèbres...), les variations sont multiples, les inventions continuelles.

A la différence qu'ici, il exploite sans hésitations le registre de l'indicible. Un registre qui va lui permettre de rendre visuelles les troubles du réel...

Certes il va montrer des êtres difformes, lovecraftiens (ha... l'hôtelière...), il va montrer des meurtres, souvent violents. Mais il va surtout utiliser de nombreuses structures d'attentes :
par de nombreux effets d'annonce : le spectateur averti sait ce qui va arriver, il lui faut attendre l'événement, en souffrant silencieusement dans le noir de la salle de cinéma;
par une structure circulaire : encore une fois la peur ne surgit pas de la reprise (chaque tentative de fuite du héros revient à un nouveau retour) mais de la réaction devant cette "boucle" temporelle, oscillant entre horreur et hystérie;
par les nombreuses ellipses qui structurent le récit. Je ne sais si elles tirent leur origine d'un manque de budget, mais je peux affirmer qu'elles contribuent à créer un formidable climat d'angoisse.

Tout cela s'exprime en un seul mot : l'indicible. Carpenter parvient à rendre par le film la même sensation que l'écrivain par les mots, l'impossiblité d'exprimer l'horreur absolu.

Enfermé dans sa cellule, perdu au fond d'un hôpital psychiatrique, on ne peut qu'apercevoir l'horreur d'un monde inconnu, l'ombre d'un monstre sur fond de hurlements humains.

Que l'on parvienne à rencontrer effectivement le responsable de l'intrusion de l'horreur dans le monde, alors sa victoire finale est rejetée dans le hors-champ : le héros contemple la fin du monde sur un écran de cinéma... et en devienne fou.